jeudi 27 décembre 2007

Droit des affaires : La fiducie entre dans le Code civil français

La fiducie a été introduite dans le Code civil par la loi n° 2007-211 du 19 février 2007. En installant ce mécanisme de gestion et de garantie dans les articles 2011 et suivants du Code civil, le législateur français consacre la notion de "patrimoine d'affectation" au détriment du principe, solidement ancré dans notre droit, selon lequel une personne ne peut avoir qu’un patrimoine unique, tous ses biens confondus (professionnels et personnels) répondant indifféremment des dettes professionnels et personnelles.

Définition : La fiducie est un contrat, inspiré du "trust" des pays anglo-saxons, par lequel une personne dénommée le constituant (l’équivalent du "settlor" en droit anglo-saxon) transfère temporairement la propriété transfèrent des biens, des droits ou des sûretés lui appartenant à une personne dénommée le fiduciaire ("trustee") qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires.

Le patrimoine fiduciaire : Le transfert de propriété s’opère dans un patrimoine d’affectation appelé "patrimoine fiduciaire", distinct du patrimoine personnel du fiduciaire et de tout autre patrimoine fiduciaire. Par la constitution de ce patrimoine fiduciaire, le "bénéficiaire" du contrat de fiducie se trouve protégé des actions des créanciers du "fiduciaire" et des créanciers du "constituant". Seules les personnes titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion du patrimoine fiduciaire peuvent en obtenir une saisie.

En cas d'insuffisance du patrimoine fiduciaire, le patrimoine du constituant constitue le gage commun de ces créanciers, sauf stipulation contraire du contrat de fiducie mettant tout ou partie du passif à la charge du fiduciaire. Le contrat de fiducie peut également limiter l'obligation au passif fiduciaire au seul patrimoine fiduciaire. Une telle clause n'est opposable qu'aux créanciers qui l'ont expressément acceptée.

Le constituant : Seules les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés peuvent recourir au contrat de fiducie pour transférer la propriété de droits ou de biens dans un patrimoine d'affectation. De plus, le transfert de propriété ne peut s'opérer qu'à des personnes morales soumises, elles aussi, à l'impôt sur les sociétés.

Le fiduciaire : Le fiduciaire est celui qui reçoit les actifs en les maintenant hors de son patrimoine. Seuls peuvent avoir la qualité de fiduciaires les établissements de crédit, le Trésor public, la Banque de France, la Poste, l'institut d'émission des DOM, l'institut d'émission d'outre-mer et la Caisse des dépôts et consignations, les entreprises d'investissement ainsi que les entreprises d'assurance.

Le bénéficiaire : Le bénéficiaire de l'opération de fiducie peut être une personne morale ou une personne physique. Il peut s'agir du constituant ou du fiduciaire.

Le tiers "protecteur" : A moins d'une clause contraire, le constituant peut, à tout moment, désigner un tiers chargé de s'assurer de la préservation de ses intérêts dans le cadre de l’exécution du contrat, appelé "tiers protecteur". Il peut s'agir d'un avocat.

Les opérations prévues par la loi : La loi du 20 février prévoit deux types d’opérations :
- la fiducie gestion : elle consiste à transférer des biens au fiduciaire avec mission de les gérer pour le compte soit du constituant, soit d’un tiers bénéficiaire. Cette opération permet notamment d’isoler un actif pour faire face à un passif.

- la fiducie sûreté : elle permet à un débiteur de transférer des biens au fiduciaire en garantie du paiement d’une dette. Si le constituant rembourse sa dette, le fiduciaire lui rétrocède ses biens. Dans le cas contraire, le créancier devient le bénéficiaire de la fiducie et le patrimoine lui est alors attribué.

La fiducie ne peut pas, à peine de nullité, être utilisée aux fins de transfert à titre gratuit de droits du constituant à un tiers. Les libéralités restent soumises au droit des successions. La loi ne permet donc pas d’utiliser la fiducie à des fins de transmission (ou fiducie libéralité) qui, dans d’autres pays, permet de faciliter la succession des personnes physiques en transférant des biens à un fiduciaire chargé de les remettre à titre gratuit, au bout d’une durée déterminée, au bénéficiaire.

Procédure collective : Si le fiduciaire fait l'objet d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, l'article 2024 du Code civil dispose que le patrimoine fiduciaire n'est pas affecté, en sorte que les créanciers du fiduciaire ne pourront pas être désintéressés sur le patrimoine fiduciaire. En cas de faillite du constituant, la loi indique que le contrat de fiducie intervenu au cours de la période suspecte est nul de plein droit. Il semble toutefois que le patrimoine fiduciaire pourrait rester indemne, la procédure collective ne pouvant appréhender que les biens du débiteur qui en fait l'objet. Le créancier bénéficiant d'une fiducie-sûreté pourra alors mettre en œuvre sa sûreté, échappant ainsi à la discipline collective des autres créanciers.

Les pouvoirs et obligations du fiduciaire : Le fiduciaire a les pouvoirs les plus étendus sur le patrimoine fiduciaire. Il est réputé comme tel à l'égard des tiers, à moins qu'il ne soit démontré que les tiers avaient connaissance de la limitation de ses pouvoirs.

Le fiduciaire est tenu d'informer les tiers en faisant expressément mention de sa qualité de fiduciaire dans tous les actes qu'il effectue. En cas de cession de biens ou de droits compris dans le patrimoine fiduciaire et dont le transfert est soumis à publicité (par exemple, un immeuble), l'acte de mutation doit mentionner le nom du fiduciaire ès-qualité.

Le fiduciaire rend compte de sa mission au constituant selon les conditions définies dans le contrat de fiducie. Il doit, en outre, rendre compte de sa mission au bénéficiaire et au tiers "protecteur", à leur demande et selon une périodicité fixée par le contrat.
Le fiduciaire est responsable sur son patrimoine propre en cas de fautes commises dans l’exercice de sa mission.

Conditions de forme prescrites à peine de nullité : Le contrat de fiducie doit déterminer, à peine de nullité :
- les biens, droits ou sûretés transférés. S'ils sont futurs, ils doivent être déterminables ;
- la durée du transfert, qui ne peut excéder trente-trois ans à compter de la signature du contrat ;
- l'identité du ou des constituants ;
- l'identité du ou des fiduciaires ;
- l'identité du ou des bénéficiaires ou, à défaut, les règles permettant leur désignation ;
- la mission du ou des fiduciaires et l'étendue de leurs pouvoirs d'administration et de disposition.

Publicité : La convention de fiducie doit être enregistrée au service des impôts du siège du fiduciaire ou au service des impôts des non-résidents si le fiduciaire n'est pas domicilié en France. A défaut, il serait nul. La transmission des droits résultant du contrat de fiducie et, si le bénéficiaire n'est pas désigné dans le contrat de fiducie, sa désignation ultérieure doivent, à peine de nullité, donner lieu à un acte écrit enregistré dans les mêmes conditions. Le contrat de fiducie doit, en outre, être publié lorsqu'il porte sur des immeubles ou des droits réels immobiliers. Par ailleurs, il est inscrit dans un registre national des fiducies dont les modalités sont précisées par décret.

Objectifs et critiques : La fiducie permet aux entreprises d’avoir recours à un instrument aussi souple que le trust pour gérer certaines de leurs opérations et notamment pour garantir des créances au bénéfice d’un ou plusieurs créanciers. La nouvelle loi doit permettre à la France d'éviter des délocalisations d'entreprises vers des Etats qui disposent déjà de ce dispositif. Ses opposants dénoncent un instrument qui favorisera la dissimulation fiscale et dont l'opacité peut faire craindre des opérations de blanchissements d'argent.

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